OK, mais quel message ?
Mon père est mort l'année passée, le 11 juin 2007. C'est plate. On commençait juste à se dire les vraies affaires, encore que, y'a oublié de me dire qu'il m'aimait. Mais il l'a dit à Sister et c'est bien. Elle en avait plus besoin que moi, surtout ce soir là. Je pense que c'était notre dernière soirée à quatre, la bonne femme, le bonhomme, la Sister et moi.
Comme dans le temps du restaurant chinois de Ville-Émard où y'avait d'la jello jaune en cubes pis que Sister pis moi on disait que c'était de la pisse de Chinois ! Comme dans le temps du St-Hubert BBQ de Ville Lasalle pis qu'on niaisait, Sister et moi, la serveuse en lui chantant "Bimbo revient" sur l'air de "Baby come back". Je ne me souviens pas de tout, mais je suis sûre qu'on a dû en lâcher une ou deux ce soir là aussi, à Lachine, en revenant de chez Picsou, le comptable de mon père. En sortant du restaurant, au "je t'aime" de Sister, il n'a pas répondu son sempiternel "moi aussi", il a rajouté un "je t'aime"...
Je me souviens de quelques bribes de jeunesse : quand mon père m'avait surprise embrassant un gars (SR ?) dans le portique du logement ! J'avais 15 ans ! Je me souviens aussi de la fois où j'ai pissé dans mon "suit" de Skidoo dans un bar de topless, avant mes 15 ans je vous rassure. Je me souviens aussi d'la fois où Sister et moi on l'avait emmené, presque de force, aux vues (cinéma) parce que ma mère lui organisait un "surprise", ça devait être pour ses 40 ans. Je me souviens de ma première bière avec lui, quand il était revenu de la chasse avec de la truite fumée.
Je me souviens de son garage sur la rue Hurteau, un vrai bordel. Y'avait toute là-dedans.
J'étais une vraie chipie à la polyvalente, une Paris Hilton avant la mode avec le double de son poids, mais sans son argent. Avec mes chums de filles, on avait 15 ans et on était dans notre période "on haït tout le monde et on se croît est très supérieures". Pour rigoler bien sûr et aussi pour dénoncer un peu notre prof d'imprimerie qui sentait la robine (n'était pas toujours très frais), surtout pendant les cours d'après-midi, on avait imprimé nos propres cartes d'affaire (cartes professionnelles) parce qu'en France il y a aussi des cartes personnelles. Bon, OK, j'avoue que les "affaires" dont nous faisions le commerce n'étaient peut-être pas au goût de tous, mais bon disons que nous avions, de façon précoce, intégré les prémisses du capitalisme. Mon père a pas ri.
Il y a aussi la fois où, pensant détendre un peu l'atmosphère, mes chums pis moué avions "échappé" un œuf dans la serviette (le cartable) de la professeure (le professeur) de maths (math). On avait de l'imagination dans ce temps là ! Mon père a pas su.
J'ai souvenance* encore vers la fin de mon secondaire V (première), j'avais 16 ans et je devais aller passer des examens pour entrer à La Pocatière. On est parti, mon père pis moué, dans le truck et pis on a dormi au motel. J'ai dû répéter 15 fois en 30 secondes que j'étais avec mon père, j'avais vraiment peur que la "Madame a pense à autre chose". J'ai passé mon examen à cheval et quand je suis revenue des écuries je vois encore mon Papa dans la pénombre, prenant son mal en patience en regardant les photos "artistiques" sur les murs, je vous rappelle qu'on était au printemps 80. Il était contre. Il rêvait pour moi d'une autre job et il avait raison.
Je me souviens de nos nombreux déménagements, en fait mes déménagements avec ses jambes, ses bras et son pick-up. J'ai déménagé 11 fois en 2 ans et je sais plus combien de fois les 43 autres années. Et mes parents ont toujours été là quand ils ont pu, y compris depuis que je suis en France. En fait, P'pa a refusé de m'aider une seule fois, la 11ième, mais il m'a quand même laissé les clés du truck !
On a pas fait de grands voyages avec mon père, et deux semaines de vacances ça passe vite. Mais je me souviens de nos excursions à Dorval pour aller voir décoller les avions ou encore à la laiterie Sealtest à NDG, en pyjama, pour le cornet du soir.
Je me souviens avoir passé des samedis après-midis à faire tous les centres d'achat de Ville Lasalle pour sauver 10 cennes sur 30 cannes de tomates. Je lui avais fait remarquer d'ailleurs que ça coûtait probablement plus cher de gaz que les économies qu'il comptait faire. Il m'a tout simplement répondu qu'il ne payait pas son gaz. Pour lui le temps n'a jamais été de l'argent. Sauf quand je suis allée le voir au printemps 2007. Lui, qui avait été le roi de la lenteur et de la procrastination de mon enfance, m'a parlé plus pendant ces 2 semaines que pendant nos 16 ans de vie commune à Ville-Émard.
Je me souviens lui avoir dit que ça me faisait chier son cancer et il m'a répondu, que lui aussi.
Mon père m'a jamais dit qu'il m'aimait. Mais je pense, après mûres réflexions, et beaucoup d'avant-midis à regarder des films à la télé, qu'il m'aimait quand même. C'est juste, que lui, y'était pas bon dans ces affaires là.
Et zou !
_________________________________________________________
*Selon le Dictionnaire Littré: Terme archaïque, mais qui n'est pas hors d'usage. Je suis donc allée voir "archaïque" et j'ai été, bien entendu dirigée vers "archaïsme" où j'y ai lu la définition suivante: "… façon de parler ancienne inusitée aujourd'hui". J'ai continué jusqu'à "inusité" où j'ai découvert : "qui n'est point ou qui n'est plus usité". OK, on continue sans s'énerver. Usité : se dit des mots et des phrases qui sont en usage dans une langue. Ouf, ça y est j'ai ma réponse …